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Michelle Zapf-Belanger

 

Le Thunder Bay Symphony Orchestra (TBSO) a tenu deux auditions entièrement numériques et sans contact en avril 2020.

À l’époque, la réponse à la pandémie se mettait tout juste en place en Amérique du Nord, et notre saison 2019-2020 venait d’être annulée quelques semaines auparavant. Nous nous sommes tout de même retrouvés avec deux postes à combler – basson et violoncelle – pour la saison suivante. L’idée de devoir planifier des auditions, sans contact en plus, nous a d’abord paru décourageante, mais nous avons quand même décidé de faire l’effort et de nous lancer. Pour convertir notre processus habituel en une version sans contact, nous avons dû l’examiner de près. Or, au cours de cette planification « covidienne », nous avons fait des découvertes surprenantes qui affecteront peut-être notre approche dans le futur, même après la pandémie.

 

Dans ma préparation de cet article, j’ai interviewé deux personnes qui ont participé à la démarche : Erik Hongisto, gérant du personnel et premier trombone, et Gwen Buttermer, hautboïste et déléguée syndicale auprès de notre section locale. Quant à moi, j’étais présidente du comité des musiciens à l’époque et je me suis trouvée aux premières loges de la démarche, du remue-méninge initial pour la planification et des essais bêta à l’animation de certaines réunions Zoom du comité d’audition. Nous étions tous déterminés à créer un processus aussi équitable que possible.

 

L’entente collective du TBSO contient des dispositions concernant ce qu’on appelle une « audition préenregistrée », une possibilité rarement utilisée dans le passé, et il nous a semblé une bonne idée que de partir d’une option déjà existante. Nous avons donc annoncé les postes comme d’habitude, et aux candidats que nous avons retenus, nous avons transmis une liste d’extraits pour une première et une deuxième épreuve, qu’ils devaient enregistrer en continu sur vidéo. Les deux épreuves ont été transmises au directeur du personnel.

 

« J’ai commencé par regarder toutes les vidéos afin de m’assurer qu’elles étaient authentiques et qu’elles n’avaient pas fait l’objet de manipulations, de corrections » explique Hongisto. 

« Ensuite j’en ai extrait les pistes audio pour que le comité d’audition puisse les écouter ». 

 

Le comité avait prévu une réunion sur Zoom, et c’est seulement quelques heures avant que les membres ont reçu les fichiers audio de tous les candidats pour la première épreuve. De cette manière, ils pouvaient les entendre à l’aveugle, mais sans avoir le temps de les réécouter encore et encore. Quand il y a eu lieu de tenir une discussion, comme dans notre processus d’audition normal, la rencontre Zoom l’a permis, et une fois terminée, on passait au vote en ligne. Le gérant du personnel et la déléguée syndicale ont pu se rencontrer entre eux, aussi par l’entremise de Zoom, et partager un écran pour compter les votes, assurant ainsi la transparence.

 

Ensuite les fichiers de la deuxième épreuve ont été envoyés. La discussion et le vote étaient prévus quelques heures plus tard, le même jour. 

 

« J’ai été vraiment surprise de voir à quel point ça se passait bien » indique Buttermer, qui a assisté à l’audition de violoncelle à titre de déléguée syndicale, mais qui a siégé au comité pour l’audition de basson. « En dépit de quelques difficultés techniques et de différences dans la qualité de l’audio, il a été étonnamment facile d’évaluer le jeu des candidats sur la base des enregistrements ». 

 

Plutôt que d’attribuer les postes d’emblée aux candidats qui ont remporté la deuxième épreuve, nous leur avons offert un essai de deux semaines lors de notre prochaine saison. Ainsi, nous avons pu évaluer leur jeu en personne jusqu’à un certain point et nous assurer qu’ils s’intégraient bien dans l’orchestre. 

 

La méthode présente plusieurs avantages pour un petit orchestre isolé tel que le TBSO.       

 « Les auditions en ligne demandent beaucoup moins de temps aux membres du comité, nous n’avons pas à trouver un lieu approprié, il n’y a pas de production, et nous n’avons pas à louer quoi que ce soit » souligne Hongisto.

 

Mais c’est surtout pour les candidats que c’est intéressant. En effet, dans une industrie où on s’attend à ce que les musiciens paient leurs propres frais de déplacement, la saison des auditions peut être prohibitive. Les candidats sont souvent forcés de choisir leur audition ou de faire des économies en vue d’en faire une ou deux par saison, ce qui prolonge de plusieurs années leur recherche d’un poste. 

 

Buttermer : « Nous avons attiré un bien plus grand nombre de candidats que si nous avions tenu des auditions en personne parce qu’il n’y avait pas de déplacement à assumer. C’était beaucoup plus attrayant pour eux, mais aussi pour nous puisque nous avons eu un plus grand bassin de candidats parmi lesquels faire nos choix. Ce fut un gros plus. » 

 

Lorsque les candidats viennent faire leur essai de deux semaines pour l’épreuve finale, ils sont payés pour leurs services, ce qui compense leurs coûts de déplacement. « Le poste est ouvert, de toute façon je dois engager quelqu’un pour le concert, pourquoi ne pas prendre le candidat ou la candidate? Il ou elle prend l’avion pour se rendre à Thunder Bay pour son épreuve et gagne de l’argent pour le faire. Ce n’est pas une dépense pour la personne, ni pour nous. C’est efficace, et pour moi c’est logique » déclare Hongisto.

 

Les orchestres ont beaucoup de pain sur la planche en matière de diversité, d’inclusion et d’équité. Est-ce qu’une audition est équitable et inclusive si le bassin de candidats ne comprend que des personnes qui ont des moyens et une fin de semaine libre pour se présenter dans une ville inconnue et subir une évaluation? Il est clair que les auditions par vidéo marquent un pas important en matière d’accessibilité puisqu’elles permettent à ceux qui n’ont pas beaucoup de sous, qui ont des enfants ou des aînés à charge ou d’autres emplois ou situations qu’ils ne peuvent laisser, d’avoir quand même une chance de se faire valoir.

 

C’est pourquoi le TBSO ne retournera peut-être jamais à sa façon de faire habituelle. « J’espère que nous répéterons l’expérience, même après la COVID, parce que j’aimerais ça, le refaire, ça me semble tout simplement beaucoup plus équitable pour les candidats » dit Hongisto. Il note au passage qu’après un an de distanciation pandémique, la plupart des musiciens ont de bien meilleures installations d’enregistrement qu’en avril, ce qui permettra une qualité vidéo supérieure dans le futur. « J’ai été très heureux du déroulement, mais ça ira encore mieux la prochaine fois ».