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Category: Nouvelles

Tamsin Lorraine Johnston, RSO hautboisTamsin Lorraine Johnston au sujet du nouveau concept branché en musique classique, ses effets et les réactions possibles des orchestres. 

par Tamsin Lorraine Johnston (hautboïste, Regina Symphony et 2e v.-prés.de l’OMOSC)

Même si vous n’avez pas joué dans un concert Candlelight, vous avez difficilement pu éviter leur publicité sur les médias sociaux. Ces expériences voisines de la musique classique font appel à des musiciens locaux par le biais de Listeso Music Group, Inc. Le terme musical italien dont ce nom est inspiré, L’istesso, signifie « le même » et décrit succinctement le modèle d’affaires de Listeso : le clonage de concerts.

Listeso Music Group mène sa barque d’une main ferme. C’est une agence de musique classique complètement commerciale qui se spécialise dans  « la mise en relation des meilleurs quatuors à cordes directement avec les clients ». En embauchant des musiciens locaux pour leurs concerts aux bougies partout identiques, Listeso profite de marchés régionaux où la concurrence est forte, en particulier ceux qui comptent de nombreux musiciens symphoniques talentueux et motivés, et y applique un lustre uniforme.

Évidemment, les temps sont durs, et les musiciens ont besoin de travailler, alors où est le problème ? La préoccupation principale, c’est la perturbation que les concerts Candlelight provoquent dans l’écosystème du divertissement, créé et défendu par des organismes sans but lucratif bien enracinés dans leurs communautés. 

Qu’est-ce qui distingue les concerts Candlelight des autres?

Les concerts Candlelight font partie de ce qui s’appelle les Fever Originals. Fever a fait ses débuts en tant qu’application de divertissement qui décrit sa mission comme étant de démocratiser l’accès à la culture. « Fever vous met la richesse des événements et des expériences de votre ville à portée de main […] Trouvez des événements locaux, des lieux secrets et des expériences éphémères branchées – plusieurs offerts exclusivement sur Fever ». En recueillant des données sur ses utilisateurs, Fever a été en mesure de cerner les lacunes dans les offres de divertissement locales et de créer du contenu qui se vendrait à coup sûr. Par conséquent, n’importe quelle région géographique présente des répliques identiques d’une poignée d’expériences Candlelight, comme Les Quatre Saisons de Vivaldi.

Candlelight : Les Quatre Saisons de Vivaldi est un calque médiocre du transcendant cycle tricentenaire de concertos pour violon seul. Le soliste de la version Candlelight est en fait le premier violon du quatuor à cordes embauché pour l’événement, et le cachet n’a rien à voir avec ce qui est approprié pour une prestation solo. (Remarque : Un modèle de contrat entre Listeso Music Group, Inc. et un artiste stipule sans équivoque qu’aucune partie du travail effectué par le musicien ne sera « soumise aux règles ou à la juridiction d’une organisation syndicale ».) L’orchestre baroque est représenté par un autre violoniste, un altiste et un violoncelliste. S’il n’y avait pas « la magie d’une expérience multisensorielle en direct » dans un « lieu impressionnant » et environ un millier de bougies DEL, même un très bon quatuor à cordes interprétant un arrangement des Quatre Saisons de Vivaldi pourrait nous rappeler les premiers jours des cellulaires et le plaisir de se choisir une belle sonnerie de téléphone. 

Incroyable mais vrai, ça se vend. Le coût d’entrée à un concert Candlelight d’une heure est équivalent à celui d’un billet pour un concert symphonique de série, qui dure généralement deux fois plus longtemps. Bien que les orchestres ne perdront probablement pas leurs fidèles auditeurs en faveur de Candlelight, il reste à voir comment ces auditeurs occasionnels réagiront à de telles offres. Deviendront-ils de nouveaux abonnés à un de nos orchestres symphoniques ou se laisseront-ils berner par cette poudre aux yeux ?

Mais est-ce que c’est «scalable»? 

Dans son livre Le cygne noir, l’auteur Nassim Nicholas Taleb discute de la « scalabilité » ou de la commercialisation à grande échelle et de ses effets sur les arts de la scène. Avant l’arrivée des enregistrements musicaux, les auditeurs se contentaient de ce qui était offert dans leur région. Les artistes et les diffuseurs étaient rémunérés en échange de leur temps. Une fois qu’il fut possible de vendre de nombreux exemplaires ou téléchargements d’une prestation, la présence de l’artiste n’était plus toujours requise pour qu’il obtienne un revenu en échange de sa musique. Ainsi, les meilleurs musiciens ont pu tirer profit d’une part beaucoup plus importante de la demande.

Candlelight a appliqué le concept de la « scalabi-lité » avec succès dans le domaine de la musique de concert. En maîtrisant rigoureusement l’exportation de la technologie pour chaque événement, en rejetant la reconnaissance individuelle des artistes par le recours à un modèle de quatuors à cordes complètement interchangeables et en détournant l’attention de l’interprétation musicale avec des arrangements spécialement créés pour Listeso Music Group, les concerts Candlelight peuvent être clonés partout.

Candlelight : compétiteur ou voie du futur?  

N’ayant pas les ressources pour déployer le même genre de marketing ciblé et incessant, les orchestres symphoniques sont menacés par l’empiètement de Candlelight sur leur part du marché. Les orchestres ne sont pas non plus reconnus pour leur flexibilité et leur capacité à s’adapter à toutes les nouvelles modes. Les concerts Candlelight ne sont peut-être qu’un autre feu de paille, mais si l’industrie orchestrale ignore le succès de Fever, ce sera à ses risques et périls. D’ailleurs de nombreux ensembles ont augmenté leurs budgets de publicité numérique et de marketing sur les médias sociaux pour affronter cette concurrence; et certains orchestres ont investi dans de nouvelles applications ou commandé des bougies DEL en gros pour les prochaines saisons.

Passons-nous à côté de quelque chose ? L’ingrédient secret de Candlelight consiste à cerner les désirs des publics occasionnels et à les attirer. En tant qu’artistes, nous nous soucions de répertoire, d’interprétation et des menus détails d’une exécution. Les personnes qui fréquentent rarement les concerts achètent des billets pour des raisons entièrement différentes et parviennent tout de même à passer un bon moment. Si, dans leur publicité, le discours des orchestres correspondait aux valeurs de la collectivité, ou s’ils mettaient l’accent sur le « comment » au lieu du « quoi », ce qui nous semble être des obstacles pourrait bien disparaître. 

Photos ou ce n’est pas arrivé 

Les musiciens d’orchestre ont tous entendu leurs directeurs et administrateurs implorer les auditeurs de parler de leur expérience à l’orchestre sur les réseaux sociaux maintenant que les téléphones intelligents sont autorisés dans les salles de concert. Dans la culture très visuelle d’aujourd’hui, il est difficile de rester intéressé au tableau qu’offrent la plupart des concerts symphoniques modernes : peu importe combien leur jeu est expressif, les musiciens ont l’air bien petits au loin sur la scène. Les concerts Candlelight prévoient des moments pendant la représentation où les spectateurs peuvent créer du contenu. En encourageant les auditeurs à publier des photos et des vidéos de leur expérience, Candlelight profite de publicité gratuite sur des millions de comptes personnels.

Les orchestres ne pourront peut-être jamais rivaliser avec la rentabilité des concerts Candlelight, toutefois, nos dirigeants prennent des notes. En étudiant ces succès, les orchestres pourront prendre des risques calculés en marketing, en programmation et en modes de présentation. Au fil du temps, ils verront peut-être une croissance du soutien pour ce que nous offrons.